En septembre 1945; les autorités militaires
de la zone d'occupation en Autriche décidaient
de
fonder un établissement secondaire et confiaient au Directeur
de la Division Culturelle, alorsà Innsbruck, le soin d'organiser
ce Lycée. Un Proviseur fut trouvé le 24 Septembre. Un immeuble
1ible fut découvert le 26. Il fut décidé que la
rentrée aurait lieu le 7 Novembre. Les autorités
militaires et civiles, après diverses
conversations rapides, remettaient au proviseur le soin de monter ce
Lycée
et d'y faire une expérience pédagogique, dont les principes
généraux furent mis sur pied aussitôt, acceptés,
puis discutés
dans le détail entre trois spécialistes, l'un était
un ancien F. F. I., le second un ancien F. F. L., et le troisième
un officier de de la Première Armée, véritable résumé en
trois hommes du drame récent. Tous les services s'employèrent
très activement à assurer la création de ce Lycée
et le 7 novembre, il ouvrait ses portes, après une préparation
intense. Il était placé en montagne, à 1.000 mètres
d'altitude, à 20 kilomètres d'Innsbruck et ne devait compter
que des internes. Pour éviter les frais de deux Lycées,
on en fit un Lycée d'internes mixtes; Ces trois conditions posèrent
des problèmes de tous genres dont certains ne s'étaient
jamais posés en France. De plus, il fallut se faire violence
car le Proviseur et un certain nombre professeurs n'étaient pas
favorables à l'internat
(à plus forte raison, à l'internat mixte); de mauvais souvenirs
de jeunesse se mêlaient à ces faits, à savoir: que
l'internat ne présente pas une perspective particulièrement
agréable; que les parents venaient d'être séparés
de leurs enfants pendant bien des années; que la moralité paraissait
faible. Les responsabilités à prendre semblaient donc énormes.
Mais ces faits s'opposaient à d'autres: la volonté du commandement
d'établir ce Lycée extérieur de la ville; l'intérêt
que présentait l'expérience projetée. Et ceci nous
amena à tenter un adoucissement au régime de l'internat
et peut-être
même une réhabilitation de ce régime. Ce qui était
inconvénient
pourrait devenir avantage si chacun faisait son travail impartialement.
sans arrière-pensée, si l'on savait se servir de la cohabitation
des jeunes gens et des filles pour créer une Société d'enfants "consciente
et organisée"; si enfin l'éloignement 1a ville permettait
un milieu plus favorable aux jeunes êtres qui nous étaient
donnés.
Les difficultés furent examinées d'une façon réaliste
et chacun des points difficiles résolu dans le minimum de temps
et au milieu de la coopération générale.
Cette plaquette est écrite pour faire connaître les problèmes
que posait cette expérience, les solutions apportées à ces
problèmes, les particularités de la formule, voulues par
les créateurs ou imposées par le temps, le lieu, les circonstances.
Les pensées qui nous guidèrent furent surtout:
le désir de créer une ambiance familiale à des enfants
qui, à nouveau, se trouvaient séparés de leurs
parents;
la recherche de l'atmosphère de travail: le soin apporté à les
aérer d'abord, à les "refaire" physiquement et
moralement ensuite, et enfin, à les convaincre de vivre dans
une plénitude, un élan, une passion qui auraient pour corollaires
la curiosité d'apprendre, la joie d'exister, le goût réel
de l'effort, le désir du "fini", en un mot l'épanouissement
total de l'être. Vers le ler Novembre 1945, ces idées prenaient
corps dans le premier emploi du temps
de la journée que nous eûmes à préparer pour
la rentrée proche
EMPLOI DU TEMPS
Après quelques tâtonnements, le tableau des activités
du Lycée
s'établit en tenant le d'un certain nombre de principes.
Il nous a semblé que le travail intellectuel était relativement
aisé le matin, pour chacun. vers 14 heures, il paraît assez
difficile, aussi bien aux élèves qu'aux professeurs, pour
une raison souvent physiologique et parce qu'aussi l'intervalle est trop
restreint qui ne
donne que deux courtes heures à l'ingestion des
aliments, au repos obligatoire, à la digestion. En conséquence,
nous avons pensé ne
faire recommencer les quelques cours de l'après-midi qu'à 15
heures, cours assez rares d'ailleurs, car la semaine de nos internes
comporte six jours
de travail. (la matinée du Jeudi est entièrement
occupée
par des disciplines intellectuelles de première importance;
il n'y a aucun cours l'après-midi de ce jour-là). La vie
au grand air devint donc possible pour la majorité des classes,
tous les jours, à partir
de la fin du repas. Ainsil quatre efforts gradués sont demandés
chaque jour, dont trois obligatoires. 1- Le matin de 8 h. 30 à Il
h. 50, 4 cours de 45 minutes sont normalement donnés aux élèves:
45 minutes plutôt que 60 car nous nous sommes maintes fois aperçu
qu'il y au bout de trois quarts d'heure, un arrêt dans
l'attention (même
chez les adultes occupés à écouter une conférence),
ce qui nous fait penser que la fin des cours est peu suivie. De même,
dans les classes, 1 h. 30 de philosophie ou de mathématiques nous
paraît suffisante. Le système employé dans les leçons,
est, le plus souvent, le système socratique, par dmandes
des professeurs et réponses des élèves (et parfois
le système
inverse, d' Alcuin) qui maintient en éveil les esprits et les
intéresse à la
classe. Deux cents cinquante contrôles environ, dans les classes,
peuvent nous permettre de croire à l'excellence de ce système
(qui n'est heureusement pas nouveau!).
La récréation qui précède le dernier cours
est plus longue que normalement (dix minutes -), afin de permettre la
récupération
après la fatigue des trois cours précédents. Elle
est aussi nécessaire au professeur qu'à l'élève.
Avant le premier cours et trois quarts d'heure après le lever
(à 6
h. 45) et le petit déjeuner (7h.15), les élèves
ont une étude de 45 minutes
pour réviser les leçons apprises la veille au soir
et sur lesquelles un travail de l'inconscient a dû se faire pendant
la nuit (on s'est assuré la veille, en étude, que les
leçons ont déjà été apprises).
Les devoirs sont terminés aussi à cette heure.
2- A 12 heures, les élèves se rassemblent dans l'ancienne
chapelle de l'établissement (qui appartenait aux Salésiens) où se trouve maintenant le
réfectoire, et par petites tables de
9 ou de 8, ils déjeunent, servis par un chef de table, garçons
et filles à part. Une dizaine
de fois cependant, nous avons réuni les garçons et les
filles aux mêmes tables, pour fêter des succès
communs. A 12 h. 40, ils sont en récréation.
A 13 h. 30, ils sont réunis devant les professeurs d'éducation
physique ; et commence alors le deuxième
effort de la journée,
graduellement dosé pour arriver à un maximum vers 15 heures.
On trouvera peut-être ces précautions un peu inutiles, voire
ridicules: nous croyons la chair et l'esprit de nos jeunes, chose extrêmement
délicate et nous
avons vu-en Orient-tant de rouages s'arrêter de fonctionner ou
tourner mal, "se gripper", que nous avons comme une sorte de
crainte devant certains faits : les repos sont-ils suffisants? Ne demande-t-on
pas plus aux cerveaux de nos enfants qu'aux cerveaux d'une majorité d'adultes
? L'estomac peut-il travailler en même temps que la substance grise
? Le corps est-il honnêtement traité, lui qui doit soutenir
le travail spirituel? La joie de vivre, l'affection ne font-elles pas
partie de la saine "gestion" des enfants, à nous confiés
?
Chaque jour, le travail d'éducation physique débute par
une mise en train vers 14 heures, généralement assez loin
du Lycée, dans les mélèzes, sur la mousse, près
de la rivière, sur les "plateaux" aménagés
tant bien que mal (Fulpmes est un petit village de 800 habitants, très
encaissé entre des montagnes de 3.000 mètres de haut, où le
soleil ne paraît que quatre heures en hiver: il faut voracement
cueillir ses rayons et en tirer le maximum!). Puis les exercices deviennent
plus violents et atteignent un paroxysme au moment où la digestion
est finie. Après quoi, les jeux, les sports groupent les élèves
qui travaillent alors en équipes après avoir fait des efforts
individuels, coupés de repos fréquents. L'air très
oxygéné permet une rapide récupération.
Puis on revient au Lycée doucement, et on entre dans l'établissement
en chantant, pour courir à la douche où passent normalement
de 100 à 150 enfants chaque jour (ceux qui ne peuvent le
faire à 16 heures se douchent le soir ou le matin). Ces principes
d'hygiène, nous sommes convaincus que les enfants les garderont
toute leur vie: des contrôles sérieux sont d'ailleurs opérés
par tous, et rares sont aujourd'hui les petits qui entrent au réfectoire
en fraude et sans s'être lavés les mains. Ils ont maintenant
compris, dans leur majorité, l'utilité pour eux et leurs
camarades d'être absolument impeccables et nets.
3 - A 16 h. 30 a lieu le goûter, au réfectoire, très
copieux, vus les efforts que l'on vient de fournir, étant donnée
aussi la température, souvent rude, de - 10 à - 25.
A 16 h. 45, entrée en étude. Une courte récréation
a lieu à 18 heures (dix minutes). Et jusqu'à 19 h. 30,
le troisième effort (personnel celui-là), commence dans
le calme. Nous avons eu la chance d'avoir de bons répétiteurs
chaque année, compétents en général, ayant
de l'autorité. Mais surtout, après deux ou trois heures
de plein air, la turbulence se trouve canalisée et l'on est même
content de s'asseoir! L'effort donné alors a été, à notre
avis, très suffisant. Un tableau de devoirs et de leçons
est sur la table du répétiteur, décidé par
les professeurs au début de l'année : les à-coups
sont rares et aussitôt signalés au Proviseur qui, chaque
soir, fait la tournée des études et agit en tant que censeur
avec tous les devoirs de cette charge. Au début de l'année,
un certain nombre de copies mal présentées sont déchirées
ainsi que des pages de cahier ou des cahiers tout entiers. Au bout de
peu de temps, la forme s'améliore notablement et la vie devient
ordonnée dès la première quinzaine d'Octobre. Il
n'y a pas de temps perdu dans les allées et venues comme dans
les Lycées d'externes et ceci nous permet de récupérer
de précieuses minutes qui se chiffrent par des heures en fin de
journée; ces heures sont employées au loisir ou aux diverses
activités. De même à l'étude, on doit travailler
dix minutes après l'entrée. Si un élève se
sent fatigué, mieux vaut 1'envoyer à l'infirmerie que le
laisser dolent, sans goût au travail, dérangeant ses
voisins. Mieux vaut aussi prévenir le refroidissement, le mal à la
gorge: l'on a d'ailleurs vite fait, à l'infirmerie, de dépister
le fraudeur qui revient, penaud, prendre sa place, mais tout le monde
ne cherche pas à nous tromper et les paresseux sont bien connus!
En fin d'année scolaire 1949-1950, quatre de ceux-ci seulement
ne donnent presque aucune satisfaction: deux seront blâmés
par le Conseil de Professeurs, tandis que 15 bons élèves
sont
félicités, de la Première à la Huitième.
D'assez bons résultats
sont donc obtenus à l'étude du soir ou le contrôle
des répétiteurs et du Censeur est strict. Les
leçons sont récitées à partir de 19h. et
cinq élèves par classe en moyenne, sont interrogés
régulièrement.
Les notes sont passées au maître d'internat, qui, le lendemain
matin, revoit les enfants à l'étude; enfin ces notes sont
présentées aux professeurs qui prennent alors des sanctions s'ils le
jugent bon. Voilà trois
contrôles qui ne peuvent exister dans un établissement d'externes
et il va sans dire que sont interrogés de préférence ceux
qui ne paraissent pas avoir assez travaillé. Les résultats
deviennent régulièrement meilleurs et, de fait, les succès
aux examens semblent avoir été la
conclusion de cet effort , du moins en grande partie.
A coté du travail individuel, on a tenté dans
certaines classes l'effort par groupes: ainsi, en Histoire et Géographie,
en Cinquième, où les élèves
se sont réunis en équipes pour préparer des travaux
importants et ont réussi. Il y a eu aussi - trop souvent -
des devoirs faits en commun: ceci est un inconvénient de l'internat
mais, à tout prendre (et nous n'en étions pas certains
au départ),
les avantages paraissent l'emporter sur les ennuis et sur ce plan aussi,
l'internat mérite qu'on lui reconnaisse des qualités.
4 - Enfin ces efforts sont complétés par une quatrième
activité, facultative, qui a
généralement lieu le soir, à la veillée,
dans une atmosphère
de détente, sous le signe de la spontanéité,
pour développer le goût, une spécialité, la
recherche esthétique, la culture générale.Elles
groupaient, en gros, de cinq à quatre-vingts élèves.
Certaines années, ces activités furent nombreuses; l'on eut tendance à les
restreindre de façon à ne
pas trop diversifier les efforts et à les
approfondir. Il en sera question plus loin dans le détail.
Les enfants ont ainsi le moyen, dans le courant de la journée,
de faire appel à tout ce dont
1a nature les a dotés. Rien n'est laissé dans l'ombre.
L'éducation se fait complète et en appelle
autant à l'intelligence qu'à la mémoire, au coeur
qu'aux muscles. Il est peut-être demandé à chacun plus qu'à l'ordinaire,
mais les changements fréquents
d'activités permettent de ne pas épuiser
les forces et de "rester sur l'appétit" : il n'y a
pas de ces heures lentes qui n'en finissent pas. Le rythme au contraire
est
allègre, léger et profond à la fois, et la vie s'installe
comme dans les quatre mouvements d'une sonate. Mais cette sonate est
conçue "sur
le mode majeur", comme le dit Chevrillon en parlant des oeuvres
de Kipling. Ce grand Anglais fut d'ailleurs, sur bien des points
notre modèle
en matière d'éducation et l'indomptable énergie
de ses héros, leur adaption parfaite à une vie rude,
faite de luttes, nous sont souvent venues en mémoire dans ce Lycée
où les premières qualités requises étaient
la volonté, le bon vouloir, le goût de l'effort, perfection
du travail individuel pour rendre service à l'équipe, fin
dernière. Loin de l'idéal hitlérien qui cherche à rendre
le jeune homme "malléable et plastique" pour se servir
de lui comme d'un rouage mécanique dans la grande usine collective,
nos enfants ont pris conscience d'eux-mêmes, ont pris confiance
en eux-mêmes, pour faire fonctionner, en connaissance de cause,
grande machine sociale dont ils détiendront ou non, plus tard,
quelques leviers de commande. Mais où qu'ils soient, ils
agiront en moyenne avec initiative, raison, bon sens et coeur, sans faiblir.
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